référence : http://wwwsio.obspm.fr/commissions/cjc/arc/obsdoc/2002-09/msg00012.html
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Lettre ouverte a la commission de recrutement du CNAP Christophe Morisset





Lettre ouverte ŕ la commission de recrutement du CNAP, juillet 2002.




       Je suis Christophe Morisset, je viens de me présenter au concours CNAP et
je n'ai pas été recruté. C'était pour moi la derničre possibilité d'obtenir un
poste permanent en France, aprčs dix ans de recherches en astrophysique. Je
tiens ŕ livrer ici quelques réflexions ; n'y voyez aucune animosité, mais
uniquement un désir profond de comprendre et une volonté de faire évoluer les
choses.
       
       Comment devient-on astronome en France? Cette question m'a souvent été
posée, par des étudiants, par des proches, par des astronomes étrangers. La
premičre réponse, simple et rationnelle, est : obtenir un poste
d'astronome-adjoint ŕ la suite du concours de recrutement du CNAP.
       Comment réussit-on ce concours? Il est possible de dresser une liste de
conditions nécessaires : un dossier scientifique qui prouve les qualités du
candidat (nombreuses publications, collaborations nationales et internationales,
implication et intégration dans un observatoire français) et bien sűr la
définition précise d'une tâche de service concrčte. Il est également
indispensable d'avoir le soutien total du laboratoire dans lequel le candidat
prétend exercer son art. L'examen de ces conditions permet théoriquement ŕ la
commission de recrutement de réduire le nombre de candidats recevables de
quatre-vingt cinq ŕ un noyau dur d'une quinzaine de postulants, le nombre de
postes d'astronome-adjoint ŕ pourvoir étant au maximum de huit  (chiffres tirés
du concours 2002).
       Sur les seize membres que compte la commission, les trois que j'ai
contacté m'ont confirmé qu'il leur est impossible de donner une explication
rationnelle au choix définitif des huit candidats reçus et ŕ son corollaire :
l'éviction des sept autres. Plusieurs m'ont dit ne pas comprendre le résultat du
concours. Tous parlent de 'chance' ou de 'malchance', terme également
fréquemment employé par d'autres astronomes en poste. A la question : pour
passer de quinze ŕ huit candidats, y a-t-il une différence entre le processus
actuel et l'utilisation d'un tirage au sort, il m'a męme été répondu par un
membre de la commission: bonne question! Si Dieu ne joue pas aux dés, il ne
semble pas en ętre de męme pour la commission de recrutement!
       Des années de curiosité intellectuelle, d'études et de travaux
scientifiques ne m'ont pas préparé ŕ accepter l'absence d'explication
rationnelle que j'ai rencontrée. Je ne peux m'empęcher de considérer a priori
cette attitude comme un manque de respect envers les candidats déboutés, leurs
collaborateurs et les projets qu'ils représentaient d'une part, et d'autre part
envers les candidats recrutés. Lorsqu'un auteur soumet un article ŕ publication
dans une revue professionnelle, il reçoit une solide argumentation détaillée
expliquant les raisons de la décision. Cela est absolument nécessaire aux
auteurs pour pouvoir le cas échéant " corriger le tir " et re-soumettre
l'article ou abandonner le sujet, mais c'est également une garantie pour ceux
dont les articles ont été acceptés et donc leurs éventuels lecteurs.
       Le paysage astronomique français, actuel et ŕ venir, serait donc le
résultat d'un processus oů l'irrationnel, le hasard et l'inexplicable ont le
dernier mot? Ceci est évidemment totalement inacceptable pour les candidats
définitivement évincés du concours et qui doivent abandonner le projet de vie
qu'ils avaient construit depuis des années. Mais est-ce plus acceptable par
leurs collaborateurs (français et étrangers) qui y perdent souvent un
investissement considérable? Est-ce męme acceptable par chacun des membres de la
communauté astronomique, dont font d'ailleurs partie les membres de la
commission de recrutement? 
       A la question 'comment devient-on astronome', est-il donc inévitable de
répondre : en remplissant les conditions nécessaires et par hasard? Je ne peux
m'y résoudre. Le stade terminal du processus de sélection est semble-t-il
actuellement trop complexe pour pouvoir ętre analysé et décomposé. Les
différents votes qui ont lieu lors des débats de la commission ne sont peut-ętre
pas garantis exempts d'effets pervers comme ceux du Paradoxe de Condorcet ?
Devant la quadrature du cercle que représente le passage inéluctable (et
raisonnablement inextricable) de quinze ŕ huit candidats, la communauté
astronomique doit donc impérativement définir un maximum de critčres objectifs
pour réduire au plus la marge d'erreur, pour assurer au maximum la cohésion
entre les compétences des candidats et les projets en cours, y compris dans la
pérennité de ces derniers. Car au-delŕ du problčme humain, les réactions de mes
ex-collaborateurs devant mon départ de la recherche en astrophysique me font
penser qu'il aurait été légitime de prendre en compte la pérennité des projets
scientifiques dans le processus de choix, ŕ défaut d'autres critčres objectifs.
Est-ce ŕ la commission de recrutement que des comptes seront demandés par la
communauté, concernant l'abandon de projets de recherche investis depuis des
années, ŕ la suite du départ d'un élément indispensable? Peut-on laisser porter
ŕ cette seule commission le poids du choix des huit candidats alors que la
méthode de sélection finale ne semble pas totalement rationnelle, car a priori
peu ou mal définie? Je pense qu'une réflexion large, impliquant la communauté
entičre, devrait ętre menée pour donner les moyens aux membres de la commission
de ne plus pouvoir répondre au sujet du résultat de leurs votes: " je ne
comprends pas les résultats, mais je les publie quand męme ".

                                        Christophe Morisset.